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Groupe Wagner, L’armée secrète de Vladimir Poutine ?

Groupe Wagner, L’armée secrète de Vladimir Poutine ?

Image : Artem Skubak / Artrotozwork

Après le retrait de la force Barkhane au Mali, le Premier ministre du pays africain, Choguel Maiga a déclaré « chercher à assurer la sécurité avec d’autres partenaires ». Parmi eux, pourrait se trouver le groupe paramilitaire Wagner, qui inquiète plusieurs pays européens.

Il y a depuis quelques années de nouveaux acteurs majeurs dans les conflits guerriers. Souvent invisibles, discrets, mais terriblement efficaces, et parfois meurtriers. Les mercenaires russes de Wagner font parti des sociétés militaires privées en plein essor, depuis une décennie, qui suppléent voire remplacent parfois les armées classiques. C’est aussi un très efficace outil d’influence à l’étranger utilisé par le Kremlin et Vladimi Poutine. Le groupe est également connu pour ses exactions et notamment une vidéo dans laquelle 4 membres du groupe torturent et décapitent un déserteur syrien en 2017. Une action qui avait mené 3 ONG à porter plainte en mars 2021. En effet, Amnesty International, la FIDH et l’association russe Memorial se sont insurgés contre ce qu’elles considèrent comme des « crimes de guerre » commis par des hommes de cette « organisation informelle (…) sous le contrôle effectif de la Russie ».

L’organisation mystérieuse de Poutine

La société militaire privée russe Wagner intervient en sous-main en Afrique, dans les ex-satellites de Moscou, et en Syrie. Le nom du groupe paramilitaire provient en fait du surnom de Dmitri Outkine, un ex-commandant du GRU devenu le chef opérationnel du groupe Wagner mais aussi un symbole en hommage au compositeur préféré d’Adolf Hitler. Forte de 2500 à 5 000 hommes selon les sources, Wagner, autofinancée par l’oligarche Evguéni Prigojine, proche de Vladimir Poutine visé par des sanctions américaines pour ingérence électorale et recherché par le FBI pour « fraude », a multiplié, depuis 2014 les terrains d’interventions comme l’Ukraine, la Biélorussie, le Centrafrique ou encore la Libye auprès du maréchal Haftar. Il s’agit principalement des zones de conflit de la planète où la Russie a des intêrets géo-stratégiques. Ces derniers mois, certains membres de Wagner ont même été aperçus au Mali, au moment où la force française Barkhane combattent les djihadistes.

Anciens membres de service de sécurité ou encore ex-militaires, ces hommes deviennent à l’étranger des « instructeurs », mais se retrouvent parfois aussi en première ligne. Cette armée fantôme permet à la Russie de développer ses axes stratégiques discrètement mais aussi de ne pas avoir de comptes à régler lorque ces mercenaires meurent au combat. Sauf quand les pertes sont trop importantes, comme dans l’est de la Syrie, en février 2018. En effet, dans la région de Deir el-Zor, une centaine de combattants pro-Assad, dont plusieurs dizaines de mercenaires, avaient péri sous les bombes américaines alors que Moscou n’avait reconnu qu’un maigre bilan de 5 morts. Les familles de ces mercenaires se manifestent rarement, la mort de ces hommes est majoritairement passée sous silence, jusqu’à ces derniers temps, avec ces nombreuses plaintes contre Wagner. Toutefois, ce coup de projecteur ne provoquera peut-être pas un coup d’arrêt alors que le recours à ces « armées de l’ombre » est de plus en plus privilégié à travers le monde. Certains de ces mercenaires ont confié avoir le sentiment d’avoir servi de chair à canon plutôt que de troupe d’élite. Ils s’indignent, surtout, que la loi russe les traite en criminels et les menace de huit ans de prison alors qu’ils travaillent pour les intérêts de la patrie, et que le ministère de la Défense, ils l’affirment, les protège en secret.

Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Thomas More, ces mercenaires font partie d’une entité qui est « plus qu’une société militaire privée (…), c’est une armée de l’ombre du Kremlin, c’est le faux-nez du Kremlin ». Ils s’entraîneraient, selon le chercheur, sur des « bases du service de renseignement russe, notamment à côté de Krasnodar, dans le sud de la Russie », et représentent donc un outil crucial pour le pays. « La Russie a des ambitions et cherche à exploiter des opportunités en Afrique, il y a une véritable volonté de percer en Afrique, de regagner le terrain perdu par rapport à l’époque de l’URSS, notamment pendant la période de Brejnev. N’y voyons pas simplement une sorte de conséquence d’une éventuelle incapacité française » a également expliqué le chercheur.

Image : Artem Skubak / Artrotozwork

La Russie dément

Paris et Washington soupçonnent Moscou de les manipuler en douce, au bénéfice de la politique étrangère du président Poutine. Mais le Kremlin dément et nie même les connaître, en affirmant régulièrement ceci : « Ce groupe Wagner n’existe pas », « les sociétés militaires privées sont interdites en Russie ». Le président russe, Vladimir Poutine juge, quant à lui, les activités des mercenaires acceptables tant qu’elles n’enfreignent pas la loi russe. « S’il y a des citoyens russes sur place, ils ne représentent ni les intérêts ni ne sont payés par la Russie, il y a souvent beaucoup de mercenaires dans une zone de conflit », déclarait Vladimir Poutine en janvier 2020 lors d’une conférence de presse. Pourtant, Marat Gabidoullin, un ancien soldat de Wagner a déclaré en juin, dans un entretien publié dans Le Figaro, que « la mission était de défendre et de promouvoir les intérêts du pays et qu’il fallait être prêt à participer à une guerre (…) il y avait une dimension patriotique ». Ainsi, la Russie de Poutine entretient bien des liens secrets avec le groupe Wagner. Plusieurs combattants de ce groupe disent effectivement avoir combattu en Syrie et dans la guerre civile ukrainienne, au sein d’un bataillon créé par un certain Dimitri Outkine, un lieutenant-colonel du renseignement militaire russe (le GRU) passé au privé.

En 2016, photos à l’appui, des journalistes révèlent que la Russie entraîne une armée privée dans ses casernes. Le ministère de la Défense dément et accuse ces médias de propager de fausses nouvelles alors que ceux-ci ont répliqué en publiant une photo de Vladimir Poutine lui-même, posant avec Outkine et trois commandants de son groupe, dans un petit salon du Kremlin. La photo date de décembre 2016, lors d’une cérémonie dédiée aux héros de la patrie. Le porte-parole du Kremlin avait alors été obligé d’admettre qu’Outkine existe, et que Poutine l’a médaillé de l’ordre du Courage.

Il y a deux ans, un média russe basé à Londres et réputé pour son sérieux, The Bell, a fait témoigner, sans révéler leur nom, des hauts gradés du ministère de la Défense et du FSB. Ils affirment que ce sont des généraux de l’armée russe qui ont eu l’idée, en 2012, de créer une armée privée, « utilisable pour régler des problèmes par la force ». Le média russe RBC a estimé à 100 millions de dollars le coût de la campagne de Wagner en Syrie ; effectivement, nourir et gérer une société militaire privée coûte cher.

Paris et l’Union Européenne sanctionnent

La ministre de la Défense, Florence Parly, a démontré récemment sa colère et a averti Moscou que le déploiement de mercenaires russes dans la bande sahélo-saharienne serait « inacceptable« . En effet, elle a estimé que les autorités maliennes “s’essuient les pieds sur le sang des soldats français” au moment même où l’on rendait hommage aux Invalides au dernier soldat mort au Mali, le caporal-chef Maxime Blasco. Les raisons de cette colère sont, en fait, un contrat que le gouvernement malien s’apprêtait à signer avec le groupe Wagner, pour l’envoi de 1000 soldats. Qui viendraient donc participer à la lutte contre les djihadistes en parallèle de l’action des 5000 soldats français. Le gouvernement malien qui est au pouvoir depuis un putsch au printemps dernier entretient de mauvais rapports avec Paris. Il entend se rapprocher de Moscou pour ne plus dépendre entièrement de l’armée française. Mais tout cela est inacceptable pour la France qui a fait savoir que notre armée ne va ni cohabiter ni collaborer avec des mercenaires.

Diplomate européen

« Wagner est une société militaire utilisée pour déstabiliser la sécurité en Europe »

Les 27 reprochent aussi à cette société privée des violations des droits humains et des opérations clandestines menées au bénéfice du Kremlin. Les sanctions européennes frappent le fondateur et commandant militaire du Groupe Wagner, Dmitri Outkine et plusieurs de ses collaborateurs, dont Valery Zakharov, conseiller pour la sécurité du président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, Denis Kharitonov, chef militaire dans la région séparatiste du Donbass, en Ukraine, et Andreï Troshev, directeur général du groupe pour les opérations en Syrie. Les quatre autres personnes visées sont des mercenaires actifs en Ukraine, en Syrie et en Libye. Trois sociétés liées au Groupe Wagner, Evro Polis, Mercury et Velada, sont également visées. Elles sont implantées en Syrie, dans les secteurs du gaz et du pétrole. Les sanctions consistent notamment en une interdiction de visas pour les personnes et le gel des avoirs dans l’UE. « La décision prise a pour but de mettre un terme aux activités subversives du Groupe Wagner. Elle témoigne de la ferme détermination de l’UE à défendre ses intérêts et ses valeurs dans son voisinage et au-delà, et à prendre des mesures concrètes contre ceux qui menacent la paix et la sécurité internationales et enfreignent le droit international », avait alors expliqué le communiqué. « Wagner est une société militaire privée russe utilisée pour déstabiliser la sécurité en Europe et dans des pays tiers de son voisinage, notamment en Afrique », a même ajouté un diplomate européen. Ces sanctions sont peu susceptibles de faire évoluer le Kremlin mais elles marquent un nouveau durcissement de la position des 27 à l’égard de la Russie et visent à décourager d’autres pays de recourir aux services du Groupe Wagner, soulignent d’autres diplomates. L’UE a aussi approuvé un régime de sanctions liées au Mali, sans toutefois cibler d’individus en particulier. Son adoption constitue cependant un avertissement pour la junte au pouvoir à Bamako. L’UE s’inquiète de la volonté de la junte militaire de recourir aux services de Wagner.

La Russie, pas seule nation à faire usage de mercenaires ?

Cependant, les Russes ne sont pas les seuls à utiliser les services d’armées privées. Les Etats-Unis ont aussi recours à des mercenaires. La plus grande armée privée du monde est américaine. Elle s’appelait Blackwater et a été rebaptisée « Academi ». Comme s’il s’agissait d’une école ou un centre de formation, alors qu’il s’agit bien d’un groupe de mercenaires. En anglais, on parle de “Contractors”, des anciens soldats qui passent des contrats dans le privé. Academi-Blackwater a un centre d’entraînement en Caroline du Nord qui a vu défiler 50.000 hommes. En Irak et en Afghanistan depuis dix ans, les “contractors” avaient progressivement remplacé les soldats. Ils étaient plus de 100.000 en Afghanistan. En Irak, ils ont été responsables de plusieurs bavures. En 2007, des hommes de Blackwater avaient paniqué sur une place de Bagdad et ouvert le feu sans raison sur des civils. On avait compté 13 morts et des dizaines de blessés. À l’époque, Blackwater employait 11.000 hommes en Irak (1.000 Américains, 1.000 Irakiens, et 9.000 soldats venant du monde entier, y compris des Français). C’est l’international des mercenaires. Le salaire moyen de ces chiens de guerre est d’environ 1000 euros par jour. C’est la privatisation de la guerre. Théoriquement interdite par les traités internationaux, mais dans les faits, pratiquée par les deux anciennes superpuissances, la Russie et les Etats-Unis.