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Sur les pistes de la panthère des neiges…

Sur les pistes de la panthère des neiges…

Vincent Munier et Sylvain Tesson partent en expédition au Tibet, en espérant rencontrer la fameuse panthère des neiges. Un film aux paysages époustouflants et une réflexion philosophique puissante.

Il faut en avoir, de la patience, pour rester des heures camouflé dans la nature, parfois capricieuse, afin d’espérer rencontrer la panthère des neiges… C’est pourtant ce qu’ont entrepris le photographe animalier Vincent Munier et l’écrivain voyageur Sylvain Tesson. Entre 2018 et 2019, les deux hommes se sont rendus au Tibet, sur le plateau du Changtang, avec cet objectif en tête, accompagnés par Marie Amiguet, la compagne du photographe, ainsi que Léo-Pol Jacquot, leur assistant. Cette panthère des neiges, sâa en tibétain, est en effet très rare : il ne subsiste que quelques milliers d’individus.

« – Tesson ! Je poursuis une bête depuis six ans, dit Munier. Elle se cache sur les plateaux du Tibet. J’y retourne cet hiver, je t’emmène.
– Qui est-ce ?
– La panthère des neiges. Une ombre magique !
– Je pensais qu’elle avait disparu, dis-je.
– C’est ce qu’elle fait croire. »

Ainsi commence cette fantastique aventure, d’après le livre de Sylvain Tesson sorti en 2019 intitulé « La panthère des neiges ». Le photographe l’initie à l’art de l’affût, à la lecture des empreintes ou à la patience nécessaire pour espérer voir les animaux. Dans le film, ils cherchent, rusent, cachent des caméras, réfléchissent aux différents lieux où pourrait se trouver la panthère… et croisent, bien sûr, d’autres bêtes. Des yacks aux antilopes du Tibet, en passant par les renards ou les loups gris, la nature sauvage du Tibet loge un nombre important d’habitants. Chaque moment est immortalisé par l’œil expert de Vincent Munier, qui nous régale de ses clichés éblouissants. Le film est commenté par Sylvain Tesson. Sa voix calme et ses propos d’écrivain sur les images rendent le tout magique. Une pointe d’humour ça-et-là, juste ce qu’il faut.

Un chat de Pallas (ou Manul) – Photographie de Vincent Munier, source : Haut et Court

Il dort et se réveille comme si son rêve l’avait électrocuté. […] Une tête hirsute, des canines seringues et des yeux jaunes corrigent d’un éclat démoniaque sa gentillesse de peluche. Ce petit félin semble en vouloir à l’Évolution de lui avoir octroyé pareille dose d’agressivité dans un corps si charmant.

Sylvain Tesson, à propos du chat de Pallas (voir ci-dessus).

Avec son livre La Panthère des neiges et ce film, Sylvain Tesson appelle à « conserver ce joyau qui s’appelle le monde ». Pour lui, « dans le monde animal, il n’y a ni Bien ni Mal, ni orgueil, ni pouvoir, pas de morale ni de cruautés dans les dévorations », écrit-il dans son livre, se désolant de faire partie de la « race honnie entre toutes ».

C’est la compagne de Vincent Munier, Marie Amiguet, qui a pris la caméra et a filmé les péripéties des deux hommes. «  Je voulais filmer […] la rencontre entre deux bonshommes d’univers différents. J’étais curieuse de découvrir quel feu d’artifice ce tête-à-tête allait provoquer entre, d’un côté, Vincent, un homme très sensible à la nature, obsédé par la beauté et effectivement taiseux, et de l’autre, cet écrivain très volubile qui dévore la vie par les deux bouts », a-t-elle déclaré dans le dossier de presse.

À 4 500 mètres d’altitude et par des températures de parfois -20°C, la quête à la panthère peut s’avérer difficile. Surtout que la voir n’est pas dit… Attendre longtemps, regarder, ne rien voir, rentrer bredouille… c’est aussi ça qui fait la magie de l’affût pour Vincent Munier.

« Ces heures de vigie se situaient aux antipodes de mon carnaval de voyageur. Jusqu’alors je butinais mes passions désordonnées et menais le train d’une vie hâtive. Je multipliais les voyages, sautant de l’avion pour prendre
le train et glapissant de conférence en conférence que l’homme aurait tout intérêt à cesser de s’agiter »

Sylvain Tesson
Bien camouflée, cette panthère… – Photographie de Vincent Munier, source : Haut et Court

Les spectateurs ont donné une note moyenne de 4,4/5 au film sur le site AlloCiné, et il enregistre à ce jour près de 440 000 entrées. Il y a quelques jours, la 27ème Cérémonie des Lumières de la presse internationale, qui récompense les films français de l’année, s’est déroulée à Paris. Le prix du meilleur documentaire a donc été accordé au film « La panthère des neiges » ! Il pourrait même être nominé pour la prochaine Cérémonie des Césars…

Allez donc voir sans hésiter le film « La panthère des neiges », ou lisez le livre de Sylvain Tesson du même nom, ayant obtenu le prix Renaudot, bien qu’il ne figurait pas dans la liste des sélectionnés, en 2019 : dépaysement garanti.

Source : Haut et Court

« Jusqu’alors, je me suis contenté de circuler dans les paysages. Au cours de dizaines de voyages dans la Haute-Asie, j’ai pris l’habitude de traverser les immensités ; courant à la poursuite de l’horizon. En bref, je suis le vent. Moi qui ne jure que par l’art de la fugue, on m’invite là aux promesses de l’affût. Avec Munier, le rapport au monde prend une autre tournure. Il ne va plus s’agir de brûler les étapes. Arriver dans la montagne, attendre, scruter, et parfois voir un animal apparaître. Le photographe naturaliste ne fend pas l’espace, il s’installe dans le temps. Lors de repérages au mois de février, je me souviens de cette soirée où nous avons effectué une reconnaissance dans un canyon. Nous marchions de conserve, Marie la réalisatrice, Munier et moi. J’étais frappé de la façon dont notre ami regardait le paysage. En réalité il le lisait comme on déchiffre la page d’un poème ou comme le musicien étudie la partition. Il regardait les vires rocheuses, les parois, les anfractuosités et nous expliquait ce qui était susceptible d’advenir. «Là, c’est un endroit où la panthère pourrait se glisser ; ici, une grotte que les grandsducs affectionnent et là, des alpages où les bharals viennent pâturer. » Voilà les explications qu’il nous donnait et je comprenais qu’il y avait deux manières d’observer un décor. On peut le regarder en esthète froid, philosophant sur les tourments du relief et les nuances de la lumière. On peut aussi se mettre à la place de l’animal en détectant les caches, les coulées, les replis et les débouchés. Alors, la montagne devient une citadelle en vie. Sur ses ponts levis et ses remparts passeront les impératrices à fourrure et le peuple herbivore. Munier est ce professeur qui va m’apprendre à lire pour la deuxième fois de ma vie. »

Sylvain Tesson
Photographie de Vincent Munier… la fameuse panthère des neiges ! – Source : Haut et Court