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Michel Bouquet, dernier acte

Michel Bouquet, dernier acte

Michel Bouquet, dernier acte

Prolifique, souvent énigmatique et troublant, il avait annoncé, en 2019, son intention d’arrêter la scène. Parce qu’il avait fait, confiait-il avec sa modestie légendaire, son « bonhomme de chemin ». C’est une légende du théâtre et du cinéma, un maître pour beaucoup d’acteurs, qui s’en est allé. Deux semaines après la mort de l’acteur Michel Bouquet, les stars, sa famille et le gouvernement se sont réunis aux Invalides pour lui rendre un ultime hommage.

La date de l’hommage, décidé avant l’élection, n’était sans doute pas la meilleur. Après des semaines d’actualité largement dominée par la campagne électorale et la guerre en Ukraine, le temps fut comme suspendu pendant une heure, ce mercredi 27 avril.

À peine réélu, Emmanuel Macron en compagnie de son épouse Brigitte Macron présidait, ce mercredi après-midi, un hommage national à Michel Bouquet dans la cour d’honneur des Invalides. L’immense acteur de théâtre et de cinéma, décédé le 13 avril dernier, avait été enterré, dans la plus stricte intimité, dans le village natal de son épouse, la comédienne Juliette Carré, à Étais-la-Sauvin (Yonne). C’est donc devant un portrait noir et blanc de Bouquet que les acteurs Fabrice Luchini, Pierre Arditi et Muriel Robin ont pris la parole avec une émotion palpable. Fabrice Luchini avait tenu l’un de ses premiers rôles face à Michel Bouquet tandis que Muriel Robin avait été son élève au conservatoire et le considère comme son « père de théâtre ». Pierre Arditi, quant à lui, avait eu l’occasion plusieurs fois de donner la réplique à Michel Bouquet dans différents films.

« Il a brûlé les planches et crevé l’écran soixante années durant. […] Il a régné sur le théâtre en monstre sacré […], il révélait des aspects insoupçonnés, ouvrait des brèches nouvelles. »

Le président de la République lors de son éloge funèbre à Michel Bouquet

En compagnie d’une dizaine d’élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, où Michel Bouquet a été professeur, Emmanuel Macron a ensuite déposé des fleurs blanches au pied d’un portrait de l’acteur.

« Vous m’avez empêché de mourir »

A la cérémonie, Juliette Carré était entourée d’autres membres de la famille et de noms de la scène et du cinéma français, notamment les comédiens Michel Boujenah, Catherine Frot, Fabrice Luchini, Pierre Arditi ou encore Muriel Robin. C’est elle qui a, d’ailleurs, livré le discours le plus émouvant, se rappelant comment Michel Bouquet l’avait sauvée à un moment où elle voulait « tout arrêter ».

« J’avais 25 ans. Vous m’avez rattrapée au vol avec quelques mots qui m’ont bouleversée : ‘Je suis ton père de théâtre‘ […] Monsieur Bouquet, je vous le dis sans emphase : vous m’avez sans doute empêchée de mourir et plus encore donné à vivre. […] Votre tendresse teintée de pudeur ne me quitteront jamais. Le roi se meurt. Pas vous, pas toi, surtout pas toi. »

Muriel Robin, la voix étranglée

75 ans de bons et loyaux services

Né le 6 novembre 1925 à Paris, fils d’un officier devenu prisonnier de guerre, Michel Bouquet devait son goût du spectacle à sa mère, qui l’emmenait régulièrement à l’Opéra-Comique.

« A chaque fois que le rideau se levait, il n’y avait plus l’horreur de la guerre, il n’y avait plus les Allemands autour […], le monde irréel dépassait de très loin le monde réel. Ça a été le meilleur enseignement de ma vie. »

Michel Bouquet à l’Agence France Presse, à l’aube de sa carrière, en 2019

Il avait marqué le cinéma en incarnant un étonnant François Mitterrand au soir de sa vie dans Le Promeneur du Champ-de-Mars, de Robert Guédiguian (2005). Ce rôle lui a valu le César du meilleur acteur, après celui reçu quelques années auparavant pour le film d’Anne Fontaine Comment j’ai tué mon père (2002). A l’écran, il aura également incarné des personnages secrets dans les films de Claude Chabrol (La Femme infidèle, en 1969), joué sous la direction de François Truffaut (La mariée était en noir, en 1967) et été un magistral Javert, pourchassant Jean Valjean dans Les Misérables de Robert Hossein (1982).

Mais c’est pour le théâtre que ce géant de la scène affichait sa préférence, faisant connaître en France l’œuvre d’Harold Pinter et se mettant au service de grands textes classiques (Molière, Diderot ou Strindberg) et contemporains (Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Albert Camus ou Thomas Bernhard). Il avait décroché deux fois le Molière du meilleur comédien dont un, en 2005, pour Le roi se meurt, qu’il ne joua pas moins de 800 fois avec son épouse Juliette Carré, formidable reine Marguerite.

Après 75 ans de carrière, le monstre sacré du théâtre avait confié en 2019 qu’il ne remonterait plus sur scène. Un géant de la scène, légendaire dans L’Avare et Le roi se meurt d’Eugène Ionesco qu’il avait joué pas moins de 800 fois, qui quelques années plus tôt espérait « ne jamais s’arrêter de jouer« .

Le Roi se meurt

« Quand tu jouais, Michel, tu imposais, et ce qui est très rare, quelque chose qui est de l’ordre de l’incontestable […] personne ne pouvait te remplacer« , a déclaré M. Luchini. « Michel, tu es le théâtre, et le théâtre ne meurt jamais », a pour sa part affirmé Pierre Arditi. C’est un visage familier du cinéma et du théâtre qui nous a quittés à l’âge de 96 ans. Michel Bouquet était en effet considéré par ses pairs comme l’un des plus grands comédiens de sa génération. 

« L’âge est une chose terrifiante et je suis un vieillard qui devrait bientôt mourir », disait-il, en 2017. Et il montait chaque soir sur scène pour un « Tartuffe » durant deux heures. Une légende vivante. Impressionnant de sobriété au cœur d’une mise en scène baroque, outrancière, en costumes de Christian Lacroix. Puissant, il « tenait » son audience. Cette fois-ci, les trois coups résonnent, le rideau se lève, le roi n’est plus. Il est parti, emportant avec lui, un immense pan du théâtre français.