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Jeux de Pékin : Un « coût » environnemental déplorable ?

Jeux de Pékin : Un « coût » environnemental déplorable ?

Jeux de Pékin : Un « coût » environnemental déplorable ?

Les Jeux olympiques d’hiver 2022 sont ouverts depuis ce vendredi. Alors que planait les menaces de boycotts diplomatiques des Jeux olympiques de Pékin sur la Chine, la question environnementale est également au cœur des préoccupations. Effectivement, si Pékin avait promis une édition « verte », ces JO pourraient être les moins durables de l’histoire. Explications.

Quelques rubans blanc au milieu de montagnes brunes. Voici la difficile image qu’exposent les jeux olympiques de Pékin en opposition avec celle de carte postale des sommets enneigés des premiers Jeux olympiques d’hiver à Chamonix, en 1924. Pour la 24e édition des JO d’hiver, qui se sont ouverts ce vendredi 4 février à Pékin, et se dérouleront jusqu’au 20 février, les épreuves de ski alpin se dérouleront sur un tapis de neige 100 % artificielle.

La région des sites olympiques, à Yanqing et Zhangjiakou, est connue pour sa sécheresse hivernale. Malgré le froid, il n’y tombe presque jamais de neige. Pourtant, le comité d’organisation de Pékin 2022 l’assure : ces Jeux seront « respectueux de l’environnement, fédérateurs, ouverts et propres ». Pour « verdir » l’événement, les organisateurs n’ont pas lésiné sur les moyens : huit sites des Jeux olympiques d’été de 2008 sont réutilisés cet hiver, comme le « cube d’eau » des épreuves de natation, transformé en cube de glace pour le curling. Tous les sites de compétition seront par ailleurs alimentés à 100 % par de l’électricité verte.

Un coût environnemental « colossal »

Le coût environnemental de ces Jeux est en effet « colossal ». Pour remédier à un climat refusant de se plier à l’agenda du sport international et blanchir les 9,2 kilomètres de pistes utilisées pour la compétition, il a fallu utiliser 100 générateurs de neige et 300 canons. 185 millions de litres d’eau ont été nécessaires, soit la consommation moyenne annuelle d’une ville chinoise de 12 000 habitants, celle de 3 406 Français ou l’équivalent de 800 piscines olympiques selon un rapport de l’ONG China Water Risk.

« Ces jeux seront parmi les moins durables, parce qu’ils se tiendront dans un environnement sans neige naturelle et dans un climat extrêmement aride. (…) C’est une région qui souffre déjà d’une pénurie d’eau sévère. Comment peut-on dire que ça n’a pas d’impact quand les paysans doivent, eux, payer pour irriguer ? »

Carmen de Jong, géographe à l’Université de Strasbourg, dans une interview au Monde

La Chine a choisi de construire un domaine skiable dans la réserve naturelle de Songshan à Yanqing. Plus de 20 000 arbres ont été abattus au cours des dernières années sur l’équivalent de plus de 1 000 terrains de football pour installer les pistes de Yanqing, où se dérouleront les épreuves de ski alpin, aggravant encore le bilan carbone de ces Jeux. Et si le Comité olympique de Pékin s’est engagé à transplanter les arbres à un autre endroit de la montagne, les dommages pourraient être considérables pour la biodiversité. Les organisateurs ont toutefois rappellé que, lors des Jeux de PyeongChang (Corée du sud) en 2018, déjà 90 % de la neige était artificielle.

Des réactions unanimes

Dans un tweet publié lundi 31 janvier, le candidat écologiste à la présidentielle, Yannick Jadot avait d’ailleurs appelé au boycott diplomatique des Jeux « pour l’écologie et les droits humains ».

Déjà pointée du doigt pour le non-respect des droits de l’Homme, boycottée diplomatiquement par plusieurs pays dont le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni à cause du génocide Ouïghours, la Chine n’échappe pas aux critiques concernant la protection de l’environnement.

Les ONG sont nombreuses à critiquer l’impact environnemental des Jeux. « Comment peut-on être autant en décalage avec l’urgence climatique ? » se désole auprès de L’Obs Antoine Pin, responsable France de l’association Protect Our Winters Europe, qui estime que le monde du sport se doit « d’adresser ces sujets ». Les sportifs peuvent en effet « porter une voix et des valeurs », estime-t-il. Plusieurs athlètes s’étaient ainsi confiés se rendre à Pékin à reculons. « J’aurais clairement préféré aller ailleurs », cingle le biathlète suédois Sebastian Samuelsson dans une interview à la télévision publique suédoise SVT. « Je ne pense pas que nous devrions organiser des championnats ou des Jeux dans ce genre de pays ».

« J’ai vu une station de ski se créer de toutes pièces, chose qui n’est vraiment pas écologique alors qu’il y a des stations et des infrastructures, toutes prêtes, dans d’autres pays. »

Perrine Laffont, championne olympique française de ski de bosses en 2018

Cofondatrice avec son frère, sa sœur et quatre de ses amis de l’association Ecoglobe, qui essaye de sensibiliser sur la nécessité de réduire notre empreinte carbone au quotidien, la snowboardeuse Chloé Trespeuch se sent particulièrement concernée par cette question.

« On n’a pas notre mot à dire sur le choix de la ville hôte, mais disons que je suis contente que les Jeux de 2026 aient lieu dans un vrai pays de neige, dans des conditions naturelles. Là, on a choisi de les faire à Pékin, on doit s’adapter, on n’a pas le choix. Pourtant on a envie de faire bouger les choses par rapport aux décisions du CIO, qui ont un impact réel sur les questions environnementales. »

Chloé Trespeuch, snowboardeuse

A l’inverse, Martin Fourcade, en pleine campagne pour intégrer le CIO, a défendu le choix de la Chine ces derniers jours, au risque de décevoir une bonne partie de son fan-club qui aimait en lui sa liberté de conscience et d’expression.

Les Jeux Olympiques d’hiver menacés ?

Les Jeux de 2022 seraient alors le symbole que les Jeux Olympiques d’hiver appartiennent à un autre temps. Selon un rapport publié par des chercheurs de l’université anglaise de Loughborough, les Jeux olympiques et les sports d’hiver en général seraient menacés par le réchauffement climatique.

Sur les 21 sites ayant accueilli des Jeux d’hiver depuis Chamonix en 1924, seuls dix d’ici à 2050 pourraient encore convenir pour accueillir un tel événement, avec des chutes de neige naturelles suffisantes. Chamonix ainsi que d’autres sites en France, en Norvège et en Autriche sont désormais classés « à haut risque », tandis que Vancouver, Sotchi et la Squaw Valley aux Etats-Unis sont jugés « peu fiables ». Selon une étude publiée le 10 janvier dans la revue Current Issues in Tourism, sans une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, une unique ville, Sapporo au Japon, serait suffisamment froide et enneigée pour accueillir l’événement d’ici la fin du siècle.

Malgré les promesses de durabilité du CIO, l’impact environnemental de la compétition pose problème à un certain nombre d’observateurs et d’athlètes. Sur les deux principaux sites où auront lieu les épreuves de plein air, à Zangjiakou et Yanking, on parle en effet de 2 à 3 centimètres de neige par mois engendrant donc l’utilisation de neige articielle. Pourtant, le CIO nous l’assure, ces Jeux de Pékin seront « les plus verts de l’histoire ». Un discours de rigueur à une époque où le réchauffement climatique menace notre planète à court terme. Pour étayer ses promesses, celui-ci a publié un rapport de durabilité de 130 pages dans lequel les organisateurs se targuent de « réduire et compenser les émissions de carbone, protéger les écosystèmes locaux et offrir des avantages à long terme aux communautés et aux économies locales ». En mettant en avant la construction d’immenses champs d’éoliennes et de panneaux solaires ou l’utilisation de véhicules transportant les athlètes, journalistes et bénévoles roulant à l’électricité ou à l’hydrogène, la Chine assure que l’alimentation des Jeux sera uniquement d’origine renouvelable. Mais il s’agit de la version officielle à destination du grand public. En vérité, il en est autre.

« Une aberration écologique »

Géographe spécialisée en hydrologie à l’Université de Strasbourg, Carmen De Jong étudie depuis de nombreuses années les impacts environnementaux des stations de ski à travers le monde. Elle s’est intéressée de très près à la construction des sites olympiques dans les régions de Zangjiakou et Yanqing. Elle a constaté que ces JO étaient les moins durables qui soient. « Une aberration écologique », selon la géographe.

Les rapports sont généralement très longs mais, la vérité, c’est qu’ils font fi de tous les grands problèmes. Les millions de tonnes de Co2 émis lors de la construction des hôtels, des routes, des parkings et des villages olympiques ne sont pas évoqués. Ils listent une centaine de mesures de compensation mais valant peu si, à côté, est détruit 1000 hectares de zones naturelles comme cela a été le cas à Yanqing et Zangjiakou

Pour bien se rendre compte de ce qui a été réalisé par la Chine pour accueillir ces Jeux « les plus verts de l’histoire », il suffit de jeter un œil au cliché aérien des régions de Zangjiakou et Yanqing entre 2017 et aujourd’hui. C’est bien simple, cinq ans en arrière il n’y avait rien. Carmen De Jong : « Ils ont délocalisé des villages entiers, détruit des terrasses agricoles qui étaient la base de la vie pour les agriculteurs locaux et ils ont et planté des milliers de conifères pour récréer un paysage alpin totalement artificiel ». Et de jolies pistes de ski à perte de vue, donc.

« Ce qui est pervers, poursuit la géographe, c’est que ce ne sont pas seulement les pistes de ski qui sont enneigées, mais aussi toutes les routes à côté pour permettre aux véhicules comme les dameuses d’y accéder. Et aussi pour faire de jolies images pour les télévisions du monde entier. On peut donc vraiment parler d’un immense gaspillage en eau »

Carmen De Jong

Le sol est si sec que la neige ne colle pas sans qu’on l’y aide. On y injecte ainsi beaucoup d’eau pour la faire geler. Or, ces régions souffrent déjà d’une pénurie de cette ressource vitale. Avant les Jeux, Pékin et ses environs ne pouvaient déjà compter que sur 300 m3 d’eau par an et par habitant, soit moins du tiers de l’approvisionnement recommandé par les normes de l’ONU. Comme l’eau n’est donc que très peu disponible dans la région, elle doit être acheminée et pompée depuis très loin mais cela coûte en électricité de pomper en altitude. Une chose est sûre, en 2026 à Milan, la neige naturelle devrait reprendre sa place.