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Bosnie-Herzégovine, au bord de l’éclatement ?

Bosnie-Herzégovine, au bord de l’éclatement ?

Trente ans après la guerre, l’inquiétude grandit en Bosnie-Herzégovine, où le Parlement de la Republika Srpska (RS), l’entité serbe de Bosnie, a entamé un processus de retrait des Serbes de plusieurs institutions fédérales, en particulier de l’armée.

26 ans après, les stigmates de la guerre civile sont encore visibles un peu partout. L’éclatement sanglant de la Yougoslavie et l’épuration ethnique à l’œuvre durant le conflit des années 1990 a divisé l’État bosnien en deux entités : d’un côté la fédération croato-musulmane et de l’autre la République serbe de Bosnie. Une construction de plus en plus fragile qui soulève des interrogations. La Bosnie-Herzégovine est-elle au bord de l’éclatement ? Éléments de réponses.

Depuis quelques semaines, la situation politique en Bosnie-Herzégovine s’est donc considérablement dégradée. On parle même de risque d’éclatement ou d’implosion de l’État fédéral. Depuis 30 ans, ce sont les partis ethno-nationalistes qui ont dirigé le pays sans interruption. En effet, pour se maintenir au pouvoir, ils n’ont cessé d’attiser les divisions entre Bosniaques musulmans, Serbes orthodoxes et Croates catholiques.

Le chef nationaliste serbe, Milorad Dodik, menace depuis plus de 15 ans de faire sécession avec la Bosnie-Herzégovine, trouvant cet État « dysfonctionnel ». Depuis l’été dernier, il semble désormais passé aux actes puisqu’il a ordonné aux ministres fonctionnaires serbes originaires de RS de boycotter le travail des institutions communes. Le 8 octobre 2021, Dodik est allé encore plus loin en annonçant vouloir créer des institutions parallèles à l’État fédéral pour la République serbe, avec notamment une justice, un fisc et surtout une armée autonome.

« Une sécession de fait »

Loïc Trégourès, enseignant à l’institut catholique de Paris et spécialiste des Balkans, interrogé par France 24

Que se passera-t-il lorsque les lois de la Bosnie-Herzégovine ne s’appliqueront plus en Republika Srpska ? France 24 a recueilli l’expertise de Loïc Trégourès, enseignant à l’Institut catholique de Paris et spécialiste des Balkans. Pour lui, « cela revient à une sécession de fait ». Cet État des Balkans est scindé, depuis la guerre interethnique de 1992-1995, en deux entités : la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska.

Dotées d’une grande autonomie, toutes deux sont reliées par un faible État central, incarné par la présidence collégiale tripartite. Le Parlement des Serbes de Bosnie a posé, le 10 décembre, les premiers jalons de ce qui s’apparente à un processus de séparation de l’entité serbe du pays, mettant ainsi à exécution les ordres du leader séparatiste Milorad Dodik, l’élu serbe à la présidence tripartite de la Bosnie-Herzégovine. Adoptée à 49 voix sur 83, la motion du Parlement des Serbes de Bosnie a donné un délai de six mois pour organiser le départ des Serbes de trois institutions cruciales de cet État central déjà peu pourvu : l’armée, la justice et les impôts.

Le fantôme d’une guerre fratricide

En réalité, les nationalistes serbes n’ont pas adhéré à une loi qu’a fait passer le haut représentant des internationaux à Sarajevo, capitale bosniaque, Christian Schmidt. Ce haut représentant, qui dispose d’importants pouvoirs, a décidé de sanctionner la négation du génocide de Srebrenica, l’un des pires massacres de la guerre, en juillet 1995. A l’époque, plus de 8 000 hommes et adolescents avaient été tués par les forces serbes. Ce massacre a été qualifié de génocide par la justice internationale, mais les Serbes continuent de le minimiser ou même de le nier. Cette loi a en tout cas servi de prétexte aux dirigeants serbes pour engager la sécession de la République serbe.

L’annonce, mi-novembre, par le leader de la communauté serbe, de la reconstitution, d’ici à « quelques mois », de son armée démantelée en 1995 a déjà réveillé les fantômes du passé. La restauration d’une armée des Serbes de Bosnie est également symbolique renvoyant ainsi à des figures comme celle de Ratko Mladic, ancien chef militaire serbe de Bosnie, reconnu coupable de génocide pour son rôle dans le massacre de Srebrenica.

Avec la montée de ces tensions politiques et des discours communautaires, certains craignent un retour des violences. La situation inquiète beaucoup et les médias locaux évoquent quotidiennement les risques de conflit. Cette inquiétude est surtout présente dans les campagnes où les populations sont encore mélangées. Traumatisées par le passé, elles ne veulent pas revivre la guerre. Pour rappel, terminée depuis 26 ans, la guerre de Bosnie-Herzégovine avait fait plus de 100 000 morts et plus de deux millions de déplacés.

Le risque de « point de non-retour »

La motion soutenue par les députés du parti de Milorad Dodik est passée de justesse. La majorité des autres partis d’opposition, même philosophiquement pour la sécession, avait refusé de voter, considérant qu’il s’agit d’« une aventure extrêmement dangereuse qui va mener à la guerre ». L’opposition reproche surtout à Milorad Dodik des manœuvres politiciennes pour obtenir des voix aux élections générales de 2022. Cette opposition est notamment constitué du parti de Radovan Karadzic, condamné à la perpétuité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre ». Selon le chercheur, Loïc Trégourès, « dans le meilleur des cas, Milorad Dodik obtiendra sa réélection et il se calmera … à condition que le point de non-retour n’ait pas été atteint ».

D’autres interrogations se posent, en revanche, concernant notamment le sort réservé aux minorités vivant en Republika Srpska ? Il faut savoir qu’en plus des Serbes, les Bosniaques (musulmans de Bosnie) représentent 1,2 million d’habitants, dans l’entité serbe. Si Milorad Dodik met ses menaces à exécution, les lois de la Bosnie-Herzégovine ne s’appliqueront ainsi plus en Republika Srpska. Le risque de voir, une nouvelle fois, des mouvements de déplacés est donc amplifié.

L’ONU sous pression

Après des négociations musclées, le Conseil de sécurité de l’ONU avait renouvelé pour un an le mandat de la mission Eufor, 600 soldats européens déployés en Bosnie-Herzégovine pour garantir la paix et la stabilité. L’Allemand Christian Schmidt, haut représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine (OHR), avait alors demandé à l’ONU de renforcer la présence des forces internationales “afin d’empêcher le pays de retomber dans une nouvelle guerre”. Dans son rapport sur la situation en Bosnie-Herzégovine, Schmidt a souligné que “ce pays est confronté au plus grand risque existentiel après la guerre de 1992-1995, et à un véritable danger d’éclatement”.

Toutefois, dans la déclaration finale du Conseil de sécurité, il n’y a de références ni à Schmidt ni à son rapport, une concession faite à la Russie, qui avait menacé de la bloquer si la moindre référence à l’OHR était maintenue. Moscou fait ainsi savoir qu’il soutient l’homme fort de la république serbe de Bosnie, Milorad Dodik. Il s’était opposé en août 2021 à la nomination de Schmidt et demande depuis des années de supprimer l’institution de l’OHR, le plus haut pouvoir politique en Bosnie-Herzégovine, qui peut imposer les lois et destituer les hommes politiques locaux compromettants les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine.

L’Union Européenne divisé

L’inquiétude grandit également en Europe. Le nouveau gouvernement allemand a demandé à l’UE d’infliger des sanctions à Milorad Dodik. « Les efforts visant à une rupture sont inacceptables et cela signifie aussi que le régime de sanctions existant soit aussi utilisé contre M. Dodik », a ainsi déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. La situation dans les Balkans occidentaux a notamment été à l’ordre du jour d’un sommet entre les dirigeants de l’UE et ceux de plusieurs pays d’Europe de l’Est.

Seul accroc, face à Milorad Dodik, l’Union européenne ne parle pas d’une seule voix. Les dirigeants hongrois et slovènes soutiennent, eux, ouvertement le leader séparatiste, et la Croatie a des intérêts communs avec l’élu serbe. En effet, si la Bosnie-Herzégovine s’effondre, un rattachement des Croates de Bosnie à la Croatie ne peut être exclu. « Milorad Dodik profite pleinement de cette situation géopolitique », analyse le spécialiste des Balkans, Loïc Trégourès, sur France 24. À l’échelle internationale, les Russes le soutiennent alors que les Américains prennent difficilement position. Différentes clés donnant à Milorad Dodik une fenêtre de tir pour avancer.