Aller au contenu

Arme biologique, La bataille des accusations

Arme biologique, La bataille des accusations

Depuis plusieurs jours, Moscou et Washington s’accusent mutuellement de vouloir recourir à un virus pour attaquer l’ennemi. Recherche laborantine, arme chimique et propagande, on fait le point sur l’arme biologique.

Une arme biologique est, en réalité, un germe que l’on maintient actif dans des laboratoires afin de s’en servir à des fins de guerre pour attaquer la population ennemie. Ces agents pathogènes permettent d’affaiblir les armées ou les populations civiles en les rendant inaptes à la résistance au combat. Ils peuvent aussi tuer les ennemis. Mais la puissance de cette arme est telle qu’elle a été classée, en droit international, « arme de destruction massive ». Son usage est formellement interdit par plusieurs conventions comme le Protocole de Genève (1925), ou la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (1972). Plus de 180 pays l’ont ratifié, dont l’Ukraine, les Etats-Unis et la Russie. Toutefois, durant la guerre civile syrienne, l’armée russe avait déjà eu recours à des armes chimiques, n’entraînent alors que peu de réactions de la part de la communauté internationale.

Après l’été 2020 marqué par les suspicions d’une fuite biologique à l’origine du Covid-19, la Russie accuse son rival américain de financer un programme « de propagation furtive de pathogènes meurtriers » sur le sol ukrainien. En clair, la puissance dirigée par Joe Biden participerait à la recherche d’agents biologiques capables de tuer, à dessein, des milliers de personnes. Le porte-parole du ministère de la Défense russe, Igor Konachenkov, avance même que son pays dispose des preuves de l’existence de ces armes biologiques.

Peu après, la Maison-Blanche a démenti ces accusations et les retourne à l’envoyeur. « Le Kremlin répand intentionnellement des mensonges purs et simples », a ainsi répondu, mercredi, le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, dans un communiqué. Interrogée lors d’une audition parlementaire la veille, la numéro 3 de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, avait toutefois confirmé que l’Ukraine disposait bien « d’installations de recherche biologique », mais sans but militaire.

Confrontations entre puissances

En 2018, la Russie avait déjà accusé les Etats-Unis de mener secrètement des expérimentations biologiques dans un laboratoire de Géorgie, une autre ex-république soviétique qui, comme l’Ukraine, ambitionne de rejoindre l’Otan et l’Union européenne (UE). La réaffirmation des propos russes ont d’ailleurs énervé le président Volodymyr Zelensky : « Je suis père de deux enfants. Aucune arme chimique n’a été développée dans mon pays », s’est-il emporté. Puis, il a précisé que les laboratoires « qui datent de l’Union soviétique » font des recherches sur de la « science ordinaire et non sur des technologies militaires ».

Il est pour l’heure très difficile de savoir ce qu’il se passe au sein de ces installations de recherche. Les Etats-Unis confirment l’existence de ces programmes. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a annoncé que la Russie « disposait de documents démontrant que les maladies de la peste, du choléra ou de l’anthrax y étaient stockées ».

Washington et Kiyv ont nié et qualifié les accusations d' »absurdes ». Questionnée par le sénateur républicain, Marco Rubio, afin de savoir si l’Ukraine possédait des armes biologiques, Victoria Nuland a répondu que non. Mais elle s’est dite inquiète par la possibilité que des recherches dites « sensibles » « puissent tomber aux mains » de Moscou.

La guerre de propagande à l’œuvre

Les médias et les autorités russes affirment que Kiev serait sur le point de se servir d’armes bactériologiques dans des laboratoires secrets financés par Washington. Dans un contexte où l’information libre subit, en Russie, des attaques répétées depuis le début de la guerre, les journaux et télévisions répètent les déclarations du porte-parole du ministère de la Défense. Selon Igor Konachenkov, il existerait une trentaine de laboratoires secrets en Ukraine. Lundi, le tabloïd Komsomolskaïa Pravda, affirmait même que des soldats ukrainiens auraient été réquisitionnés, à Karkhiv, pour des expérimentations avant de propager le virus faisant 20 morts et 200 hospitalisés. Tous seraient, par ailleurs, malades du choléra. Rien ne prouve, à l’heure où vous lisez ces lignes, ces accusations d’un média aux mains du Kremlin.

Selon le quotidien britannique The Guardian, les gouvernements britannique et américain craignent également que la Russie n’emploie ces accusations pour justifier l’utilisation de l’arme chimique, voire nucléaire. En brandissant la menace de l’arme biologique, interdite, le Kremlin serait plus apte aux yeux de sa population à recourir à une arme prohibée.

« Maintenant que la Russie a fait ces fausses déclarations, nous devrions tous être à l’affût d’une utilisation éventuelle, par la Russie, des armes chimiques ou biologiques en Ukraine, ou crée une opération sous fausse bannière en les utilisant »

Jen Psaki, attachée de presse de la Maison-Blanche

Les inquiétantes conséquences du conflit

Ce vendredi après-midi, un Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence à la demande de la Russie, qui affirme que Washington et Kyiv gèrent des laboratoires destinés à produire des armes biologiques en Ukraine. Le porte-parole de la Défense russe lance des accusations précises, assurant que les Américains mènent des expérimentations « de coronavirus sur des chauves-souris » pour « créer un mécanisme de propagation secrète d’agents pathogènes ». Les Etats-Unis et Royaume-Uni ne manquent pas, quant à eux, de faire un parallèle avec la Syrie, où du gaz sarin, du chlore et du gaz moutarde ont été utilisés par le régime de Bachar el-Assad dont la proximité avec Vladimir Poutine n’a jamais été cachée. L’ONU s’est néanmoins voulue rassurante jeudi sur le sujet. Son porte-parole, Stéphane Dujarric, affirme « ne pas avoir d’information […] sur leur utilisation prochaine » en Ukraine.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a conseillé à l’Ukraine de détruire les agents pathogènes à haut risque hébergés dans les laboratoires de santé publique du pays afin d’éviter « tout déversement potentiel » qui propagerait des maladies au sein de la population, selon Reuters. L’OMS s’inquiète qu’en cas de bombardement, l’un d’entre eux soit endommagé et que cela entraîne une fuite.Ces laboratoires, soutenus aussi par l’UE et les Etats-Unis, étudient, en fait, les moyens d’atténuer les menaces de maladies dangereuses affectant à la fois les animaux et les humains.

Boris Johnson, premier ministre britannique pense que le seuil a déjà été atteint après que des familles en fuite ont été bombardées lors d’un « cessez-le-feu » russe. Il a déclaré qu’« il y a peu de choses plus dépravées que de cibler les personnes vulnérables et sans défense ». Bien que l’invasion de Poutine ne soit pas planifiée, la résistance ukrainienne se prépare à ce que les troupes russes bombardent Kiev de manière imminente avec une énorme puissance de feu et des conséquences irréversibles. Plus globalement, en agitant d’abord la menace nucléaire puis biologique, Vladimir Poutine alimente la terreur qui domine en Ukraine mais aussi à l’extérieur.