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Législatives 2024 : comment expliquer ces résultats inattendus et comprendre le vote ?

Législatives 2024 : comment expliquer ces résultats inattendus et comprendre le vote ?

Législatives 2024 : comment expliquer ces résultats inattendus et comprendre le vote ?

Ce dimanche 7 juin 2024, les élections législatives ont placé en tête le Nouveau Front Populaire, avec 182 députés, devant Ensemble, qui compte 168 sièges, et l’alliance entre le Rassemblement National et les alliés d’Eric Ciotti, avec 143 sièges. Ces résultats, très loin des estimations de l’entre-deux tours, qui voyaient le RN arriver en tête, comment expliquer ces résultats ?

Un résultat inattendu, dû aux désistements

Le premier tour des législatives a placé les candidats du Rassemblement National et de ses alliés en tête, avec 39 députés élus dès le premier tour, sur 76. Par ailleurs, les candidats de ce camp étaient arrivés en tête dans 297 circonscriptions sur 577. De plus, proportionnellement, le Rassemblement National et ses alliés avaient obtenu plus de 33% des suffrages, devant le Nouveau Front Populaire avec 28%. En bref, le premier tour a été largement remporté par le Rassemblement National et ses alliés, si bien que les sondages, au soir du premier tour, les voyaient largement en tête. Par exemple, le sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche, à 20h, prévoyait 260 à 310 sièges pour le RN, obtenant donc une majorité absolue loin devant le Nouveau Front Populaire crédité de 115 à 145 sièges, puis Ensemble, avec 90 à 120 sièges, et enfin Les Républicains, avec 30 à 50 sièges.

Face à cela, Ensemble, la coalition menée par le parti présidentiel, et le Nouveau Front Populaire, l’alliance de la gauche, ont décidé de créer un « front républicain », ou un « barrage républicain », pour faire face au Rassemblement National. Ils ont été rejoints par quelques Républicains et divers droite. Ce « front républicain » prévoyait qu’en cas de triangulaire où un député RN était arrivé en tête, le candidat arrivé troisième se désiste, pour que les voix soient redirigées vers le candidat arrivé en deuxième position. Cette stratégie a entraîné 215 désistements, sachant que deux autres désistements ont eu lieu, ce qui a fait passer le nombre de triangulaires de 306 à 89. Ce sont surtout des candidats du Nouveau Front Populaire qui se sont désistés, et, au final, ce « front républicain » a fonctionné, puisque 173 circonscriptions sur les 215 concernées ont été remportées par un candidat autre que celui du Rassemblement National et de ses alliés. L’efficacité de ce front républicain avait mal été perçue par les sondeurs. Ainsi, le « front républicain » a rempli son objectif de faire barrage au Rassemblement National.

Par ailleurs, l’autre effet de cette stratégie est l’amortissement de la chute d’Ensemble. On l’a vu, au soir du premier tour, la coalition présidentielle n’était créditée que de 90 à 120 sièges par Elabe. Finalement, elle compte 168 députés. En effet, dans les 173 circonscriptions gagnées grâce au « front républicain », on en compte 86 gagnées par Ensemble, 57 remportées par le Nouveau Front Populaire et 30 remportées par Les Républicains et divers droite. Ainsi, le « front républicain » a permis à Ensemble de devenir la deuxième coalition de l’Assemblée Nationale, alors que tous les sondages la voyait troisième.

Le « barrage républicain » face au « vote d’adhésion » : une difficulté pour le Nouveau Front Populaire et Ensemble

Cependant, le « front républicain » a forcé des électeurs d’Ensemble, et du Nouveau Front Populaire, à voter contre le Rassemblement National, et non pas à voter pour un programme. C’est toute la difficulté qui se pose désormais aux différents partis, et notamment au Nouveau Front Populaire et à Ensemble. En effet, ces deux partis ont mené conjointement un « barrage républicain », mais le Nouveau Front Populaire a exprimé son souhait d’appliquer son programme, en tant que coalition arrivée en tête. Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France Insoumise, a expliqué, dans son discours suivant les résultats : « Le Nouveau Front Populaire appliquera son programme, rien que son programme, mais tout son programme. ».

Ensemble explique vouloir trouver des compromis avec des Républicains, et avec des partis comme le Parti Socialiste. Cependant, ce dernier parti est membre du Nouveau Front Populaire, arrivé en tête, et ne souhaite pas s’allier durablement avec Ensemble, comme le dit son secrétaire général, Olivier Faure : « Nous ne nous prêterons à aucune coalition des contraires. ». En effet, ils souhaitent rester dans le Nouveau Front Populaire, coalition avec laquelle Ensemble ne souhaite pour l’instant pas travailler, en raison de la présence de La France Insoumise.

Ainsi, c’est la question du « vote d’adhésion » et des « alliances » qui se pose. Beaucoup d’électeurs n’ont pas voté pour un programme, mais contre le Rassemblement National, et c’est un élément à prendre en compte. Aucun parti n’a de majorité absolue, et, pour ne pas passer en force des mesures, comme cela a notamment été reproché à Elisabeth Borne, il sera nécessaire de trouver des compromis. Une nouvelle page politique s’ouvre donc en France, où les parlementaires devront trouver des compromis, comme cela se fait dans de nombreuses démocraties européennes, et au Parlement Européen.

Le vote par circonscription rend les résultats difficiles à prédire, et n’avantage pas le Rassemblement National

En France, les législatives sont des élections qui ne s’effectuent pas à la proportionnelle, comme les élections européennes, mais dans des circonscriptions, soit des zones représentant environ 100 000 habitants. Les députés sont élus pour un mandat national, mais leur ancrage territorial peut compter pour mobiliser les électeurs. Ainsi, Les Républicains, divers droite, et l’UDI remportent seulement 9,45% des suffrages dans la France entière, mais 66 sièges, soit 11,4% des sièges. C’est leur ancrage local qui leur permet d’obtenir de nombreux députés.

En revanche, c’est l’inverse pour le Rassemblement National, qui compte peu de maires et d’élus locaux. Ainsi, malgré les 36% de voix obtenues au niveau national, soit plus de 10 millions d’électeurs, le Rassemblement National et ses alliés n’ont obtenu que 143 sièges, soit un peu moins de 28%. Le Nouveau Front Populaire, lui, peut compter sur un certain ancrage local, avec le PS et Les Ecologistes,  sur le « front républicain », et sur des députés sortants. Ainsi, malgré 7,5 millions d’électeurs en France, soit environ 25%, la coalition a obtenu 182 députés, soit 31,5% des sièges. Ainsi, le fait que les élections législatives se déroulent au niveau local est important pour comprendre les résultats, car certains citoyens peuvent voter pour une personne de confiance plutôt que pour un bord politique. Cela modifie donc considérablement les rapports de force par rapport à un scrutin à la proportionnelle.

Par ailleurs, les sondages sont aussi plus compliqués à réaliser, car, au niveau local, il est plus difficile de prédire un vainqueur qu’au niveau national. Il faut en effet prendre en compte des enjeux locaux. C’est pour cela que les fourchettes de sièges sont assez larges. En revanche, dans ces élections législatives, le « front républicain » a largement été sous-estimé par les instituts de sondages, expliquant en grande partie l’écart entre les sondages de l’entre-deux tours et les résultats.